Laurent Brondeau participait au Grand Raid de la Réunion du 23 au 26 ocotbre dernier, voici le récit de son extraordinaire aventure.

Il ne devait pas y avoir grand monde pour y croire !!! En effet après une opération à la mi-juin qui nécessita deux mois et demi d’arrêt j’ai contacté les organisateurs pour connaître la procédure de désistement. A partir de là mon médecin m’a fait un certificat de non aptitude au sport. Mais je n’ai jamais pu l’envoyer. Une fois l’opération faite il me restait à gérer une pubalgie. Les efforts de mon kiné portèrent leurs fruits et il m’autorisa la marche en montagne mi août. A partir de là tous les week-end seront accès sur du denivellé et des sorties longues avec en ligne de mire la ligne de départ, même si elle reste un rêve fou. Puis le corps accepte l’effort et se renforce même et j’ai le droit de recourir 30 minutes début septembre puis petit à petit d’incorporer la course aux sorties montagne jusqu’à recommencer finalement à faire du trail.

Départ 22h30 : feu d’artifice et un monde inimaginable pendant des kilomètres, ahurissant, cette course porte bien son nom car c’est la folie.
Je pense avoir très bien géré la course vu ma préparation tronquée et la perte de toute ma vitesse.
Donc départ très prudent pour finir le premier tiers très frais et attaquer la seconde nuit qui est déterminante. N’ayant plus de vitesse j’accepte de voir un flux de coureurs me dépasser et je me dis tu as tout à perdre sur les premiers kilomètres c’est du long. Au premier ravitaillement je vois deux personnes vomir et une jeune femme s’évanouir. Çà met dans l’ambiance. Mais la difficulté est qu’en arrivant si loin derrière (1900ème au premier pointage) il n’y a plus rien au ravitaillement. Cela va être le cas pendant les 11 premières heures de course soit toute la première nuit. Même au premier ravitaillement chaud qui doit nous distribuer une soupe ils ont oublié les bouteilles de gaz… A cela se rajoute la pluie et le vent et les conditions deviennent démentielles. Avec le doute sur mes capacités l’hypoglycémie qui me ronge tout ça m’amène à appeler ma femme à 3h du mat pour lui demander de m’amener de la bouffe au premier point accessible : mare à boue vers à 10h du matin. Pendant 5 ou 6h je pense abandonner car sans ravitaillement cela devient mission impossible.

Puis Véronique est là, sous la pluie, elle n’a pas dormi elle aussi. Cela requinque et surprise les organisateurs ont rajouté un barbecue de poulet avec pâtes au ravitaillement, ce qui n’était pas prévu mais bien venu vu les conditions climatiques. Je sort de cette état d’hypoglycémie et je réfléchi. L’an passé seulement 1300 arrivant et je suis 1858ème à mare à boue. De plus les barrières horaires me collent aux fesses entre 2h15 et 2h30 d’avance autant dire rien, la moindre défaillance et les minutes vont deffiler et m’éliminer. Je décide deux choses : tout d’abord accélérer sans perdre de vue d’arriver frais à Cilaos, fin du premier tiers et premier camp de vie avec kiné podologue douche repas et premier sac d’assistance (nouvelle chaussure nouveaux vêtements secs). Puis ne pas dormir la seconde nuit pour rattraper ceux qui vont le faire, notamment ceux qui sont partis trop vite et devront se reposer. Paysage merveilleux la campagne se réveille et nous offre un splendide arc en ciel, petit moment de grâce que je suis venu chercher. Reste le Kerveguen montée très technique dans la boue et sous la pluie et sa descente avec notamment 800 mètres de dénivelés négatifs sur deux kilomètres, 40% de pente. Descente hyper dangereuse (deux morts sur la diagonale à cet endroit et plaque commémorative qui refroidi). Il faut dire que l’on joue sur un monotrace de 60/80 cm avec le vide de chaque coté. Autant de temps à descendre qu’à montée, l’horreur.
À cilaos, fin premier tiers. Je retrouve Véronique mais pas le temps de profiter d’elle, un arrêt au podologue pour un ongle un peu long (je ménage bien la monture et enlève la terre de mes chaussures à chaque ravitaillement). Elle me dit que j’ai de super pieds. Pas de temps donc pas de douche et je repart pour deuxième nuit. Mais avant l’erreur qui va m’accompagner jusqu’à la fin, je change de semelles. Celles que j’utilise au quotidien depuis des années je les ais mise dans la valise pour ne pas les oublier et du coup elles me font mal. Je met les semelles d’origine des chaussures.

Deuxième tiers
Nous devions monter le Taïbit pour rentrer dans mafate mais le sentier s’est effondré et changement de parcours 10 jours avant le départ. Du coup nous devons monter au refuge du piton des neiges à 2400 mètres d’altitude et surtout passer par le cirque de Salazie. Résultat au lieu de sentier tracé et d’un cirque sec nous avons des sentiers que l’O.N.F. n’a pu préparer et surtout de nouveau la pluie et la boue. Au gîte la nuit le froid la pluie le vent et … rien au ravitaillement eau coca. Cela va être le cas pour deux ravitaillements sur trois sur le nouveau parcours. Par contre ma stratégie paye je suis frais pour le second tiers et je croise des gens qui ont été arrêtés par le médecin au gîte. J’ai repris 600 places et suis 1282ème. Je me rapproche d’un concurrent qui connaît le coin, malgré le fait que j’aime courir seul car j’ai entendu tout le monde dire que la descente sur Bélouve est hyper dangereuse. C’est le cas : boue, racine cailloux chemin non tracé, dur dur dur. Pour plat de résistance cette nuit là le col de la fourche et la montée à la plaine des merles. Des heures de montée sous la pluie. Par chance je suis hyper bien dans cette seconde nuit, grosse forme et je dévore les montées et dépasse un nombre de personnes impressionnant. Je fini la montée vers 4h du matin et suis 850ème. Mille place de pris dont 800 dans cette nuit. Par contre second arrêt podologue et là les soucis commencent. Il ne s’agit plus d’un ongle mais du décollement de la voûte plantaire. Il n’y a pas de podologue qui ne sont qu’au camp de vie mais un médecin me strappe. Levé du jour en entrant dans le cirque de Mafate, magique, et arrivé à Marla et petit dej avec rougaille saucisse. 106Km de fait il faut encore tenir 15 bornes et la pression des barrières horaires va se relâcher. Je sais qu’après le Maïdo elles sont plus larges. Le probleme c’est que pour sortir de Mafate et finir le second tiers il faut se taper le Maïdo et ses 1200 mètres de denivellé en plein cagnard. J’arrive au pied je ne suis pas bien il fait très chaud et je suis fatigué, vertiges malaises. Je m’assois et je demande à quelqu’un s’il peut me réveiller pour que je puisse dormir. Impossible trop de monde à gérer me dit il. Je me rafraîchi le corps au jet d’eau, mouille la casquette et part affronter la chaleur. Je ne sais pas si le malaise va revenir avec le risque d’insolation mais je n’ai pas le choix. Pus que 7km et je sais que je finirai cette course. Je ferme tout je me referme sur moi et je monte. À deux kilomètres du sommet je retrouve Véronique, je passe sans rien dire, elle comprend et me suis. J’avance vite, elle a du mal à me suivre, c’est bon pour le moral de voir après 38h de course que je suis en forme. Le sommet la foule, les encouragements, les enfants… je vais finir.

Troisième tiers
12 km de descente, puis des montagnes russes et le second camp de vie.
Véronique est toujours présente, les bons mots au bon moment. Il faut que j’aille voir le podologue mais j’ai peur qu’il ne m’arrête. J’enlève les chaussettes et je vois que je n’ai pas le choix. De toute façon je souffre depuis 1h du matin et cela ne s’arrange pas. L’étudiante qui me reçoit appelle le ‘chef elle lui dit « il ne peut pas continuer », il lui répond « s’il est là dans cet état, c’est que s’il y en a un qui sera à la Redoute c’est lui ». 1h de soin, très douloureux et il me demande de le voir absolument à l’arrivée pour des soins post course. Il ne reste que 33km officiellement. Les cadors du peloton ont plutôt 180 km d’après leur GPS les kilomètres annoncés sur la nouvelles portions sont erronés. Je comprend vite que je n’éviterai pas la troisième nuit. Du coup je prévois de dormir au prochain ravitaillement et compte sur Véronique pour me réveiller. Au Maïdo mon fils m’a demandé si j’avais eu des hallucinations à cause du manque de sommeil, j’y repense dans la montée du chemin Ratineau à travers les champs de canne à sucre … magique dans la nuit. Je me dit que finalement ce n’est pas nécessaire de dormir. Fin de la montée je rejoins un groupe. Un spectateur demande s’il y a un pointage plus haut et je lui dit oui. Une fille qui court avec moi me demande pourquoi je dit ça car il n avait que des supporters. Problème j’ai encore en tête l’image que j ai été contrôlé et que j ai demandé a une femme mon classement. La fille me dit que j ai des hallucinations et plus loin je vois mes pas dans la neige et je trouve cela jolie. Seulement à 25 degré même la nuit c’est impossible. Là je me met en colère, me reprend car il faut descendre kala qui est une descente hyper abrupte avec de gros blocs de cailloux et dont tu sors en te jetant, te retenant sur des branches ou des lianes. Bref concentration max au moment ou je divague. C’est interminable vraiment la jungle je me retrouve seul, cherche les ru-balises en espérant que celles que je vois existe et de ne pas oublier les réelles, parfois je rebrousse chemin tellement je doute. J arrive au ravitaillo pas de Véro j’allume portable et elle m annonce qu’elle a eu un accident et ne peut pas venir et peut être même sera absente à la Redoute. Par chance il y a beaucoup de public et je demande à deux petit vieux assis sur des chaises s’ils peuvent me réveiller dans 30′. J’ai leur accord et je dors sur la route. Que ça fait du bien. Reste le chemin des anglais et la montée à Colorado.
Là c est l’horreur le chemin des anglais étant 5 km de gros galets en descente ou montée abrupte sur lesquels tu n as aucun appui, il n’ existe plus de plat que du rond. Avec mes pieds c’est que du bonheur. J’en vois la fin et m’accorde 45 minutes de repos à la grande chaloupe où un bénévole accepte de me réveiller. Dernière montée, Colorado c’est 1200 d+ après 165 km j’attaque la montée, le jour se lève il y a des petites ravines poussiéreuses de 4, 5 mètres à monter en prenant beaucoup d’élan pour y arriver car le revêtement n’est que poussière, la douleur devient terrible dans les derniers kilomètres. Je sens que dans les chaussures il se passe des choses terribles. Puis reste la descente sur la Redoute et finir. Là je sens que mes pieds sont catastrophiques. Je ne pense qu’à ça et j ai peur de perdre un orteil. Je relâche vraiment dans la descente c’est gagné sauf si je me blesse donc attentif mais prudent et la fatigue m’envahit avec le relâchement. C’est encore dur, technique et long alors que je vois Saint Denis et que j’entends l’animateur du stade. Ça y est fin de la descente, le tag sur le mur qui symbolise la fin de la course, de la végétation, le retour à la civilisation et l’arrivé en ville. Je m’y arrette, ce sera le seul arrêt hors ravitaillement et camp de vie que je m’autoriserai pendant ces trois jours de peur de ne pas repartir. Je range mon sac car j’ai les vêtement chauds de la nuit autour de la taille et je repars pour ce dernier kilomètre. Je vois le stade mais personne pas Véronique, ni les enfants. Et une voix familière Quentin qui m’attend à l’entrée. Il me dit que tout le monde est là. Pour eux aussi cette nuit fut épique. Remorquage de la voiture, retour à Saint Denis avec la dépanneuse, prise de la nouvelle voiture et ils décident de dormir dans la voiture au stade de la Redoute pour ne pas louper à l’arrivé. Tout ça vécu dans de grand fou rire. Les événements nous en faisons ce que nous voulons soit un problème soit une aventure. Ils ont fait le choix d’en rire. Je rentre sur le stade et franchi la ligne avec Véronique Thomas et Quentin. Heureux bien sur, incroyable d’être là moi ici après tout ce que j’ai si vécu durant ces 57h38. C’est irréel. J’ai tellement vu de vidéo sur le net de traileurs filmant leur arrivée que je reconnais le décor mais peine à réaliser que je suis acteur. Mais c’est bien moi, je l’ai fait.

Puis ma famille, l’interview, l’impossibilité de manger depuis 3h du mat, je ne peux pas prendre le repas de finisher et une obsession mes pieds, où sont les podologues. Ils sont encore sur le terrain et ne seront à la Redoute que dans l’après midi. Retour hôtel douche, je dors et je repars pour les soins.
Un après-midi de soins grosse douleur et tu te demandes si ça en vaut la peine.
Ce qui est sur c’est qu’une fois que le mal est fait il me fallait finir car sinon j’aurai quand même eu les pieds détruits et en plus pour rien. De toute façon courir ou non la douleur était la même donc je me disais en permanence si c’est pareil cours.
Une course très dure, la plus dure depuis sa création dixit les organisateurs et les habitués. En debriefing j’entendais en partant le président se remettre en cause quant au nouveau parcours et au 52% d’abandon. Record incroyable d’autant plus que les participants sont maintenant sélectionnés sur critères sportifs.
Passages vertigineux, très dangereux et temps de chien mais aussi des paysages ahurissant de beauté des arcs-en-ciel au levée du soleil et un public incroyable toute les nuits même au milieu de nulle part. Parfois un homme lors de la première nuit, loin de toute habitation, au milieu de la nuit venu faire des blagues lors des bouchons de la ravine (1h d’attente mini). Parfois des familles avec leurs enfants dans la campagne faisant un barbecue sous la pluie à 2/3h du matin. Cette île vit pour cette course et c’est ces rencontres inattendues de personnes de paysages qui m’apporte ces moments de grâce que je cherche si loin de chez moi. Heureusement je les trouve aussi à Carcassonne quand de retour d’entraînement, juste avant de partir à la réunion, j’ai vu ce couché de soleil sur la cité au milieu des vignes. Comme je suis bien loin de mon canapé. Moment de grâce aussi, en entraînement, en montagne avec mon entraîneur Marjolaine Courrege, mon sparring partner depuis tant d’année Arnaud Solier et ce nouvel ami Fred Barbié. Moment de grâce aussi lors d’apéro légendaire notamment le repas de fin de prepa 15 jours avant nos courses mais là cela reste secret. Mille merci à eux et à tous ceux qui m’ont encouragé durant cette aventure, les membres de l’AOC and CO et du TCC. Merci
Merci enfin et surtout à Véronique, Thomas et Quentin, quelle belle aventure nous avons vécu tous ensemble.

Ma diagonale des fous, ou le TCC sous les tropiques

3 avis sur « Ma diagonale des fous, ou le TCC sous les tropiques »

  • 20 novembre 2014 à 20:09
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    Bravo cousin,
    Nous t’avons suivi via le net, avec commentaire en direct de mon reunionnais de mari… Nous sommes très fier de toi! Dou avait un copain qui courrait aussi…
    Et comme le dit si bien Stephane, dire qu’il a fait le Tourmalet ou le Canigou (je ne me souviens plus, la vieillesse qui sur toi n’a pas de prise) avec toi, il y a si longtemps quand nous étions scouts, hi,hi,hi.
    Qui l’eut cru à cette époque!
    Bises

  • 26 novembre 2014 à 16:32
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    Je ne connaissais pas Laurent Brondeau avant de le voir arriver à l’hôtel en…chaise roulante, le lendemain de la Diagonale des Fous .
    Ce qu’il ne dit pas dans son compte rendu, c’est qu’il a terminé cet ultra trail les 2 pieds dans un très sale état.
    Il n’avait quasiment plus de voute plantaire. C’est dire sa volonté de terminer et son mental à toute épreuve.
    Bravo à lui et à sa famille 🙂

  • 29 novembre 2014 à 15:55
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    Une grande rencontre que celle de Denis Clerc, c’est aussi la magie de la diagonale que permettre de faire des rencontres telle que celle là
    pour voir ce que c’est que la diagonale voir son film sachant qu’il est journaliste
    https://www.youtube.com/watch?v=M0rQr7lL5fs

    merci Denis

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